Chicago
Elle est un enchevêtrement de tôles acérées, de gazinières éventrées, de parois émaillées autrefois blanches, aujourd’hui corrodées, de pièces de bois brisées, de vieux matelas, de morceaux de plastique… Y progresser est difficile, dangereux, monde hérissé coupant, glissant, gluant. C’est la première qu’il a explorée. C’est la sienne, même s’il la partage avec ses compagnons d’aventure. Il en a connu plusieurs, imagine que pour qui sait les apprécier elles sont toutes différentes, et sait depuis toujours que la sienne est unique. Elle commence en haut de la colline et descend jusqu’à la mer. Plus on est bas, plus les objets sont anciens, abîmés, rouillés. Le mot dégradé prend ici tout ses sens. Déversés depuis le haut, ils glissent lentement, comme un glacier, une coulée de vomi des déchets humains. Chaos apparent, en fait une imbrication parfaitement agencée par le temps ; à preuve, en extirper un élément pourtant à portée de main s’avère souvent difficile. Monde inextricable, chaque trouvaille se mérite. Sa première prise fut un énorme fer à cheval. En bas tout est absolument rouillé, et inaccessible à marée haute car recouvert par les eaux. On peut y rencontrer d’autres arpenteurs de décharges, méfiance et distance gardée, adultes inquiétants. À 15 ans, en lisant “ Les Météores ”, il a appris que ce qu’il porte en lui, mais dont personne ne semble vouloir parler, quelqu’un l’a écrit., Tout le monde l’appelle “ Chicago ” et très jeune, quand il a appris que Chicago était
“ aussi ” une ville des États-Unis autrefois violente, il a compris que ce n’était qu’un surnom.
Le Code de l’Environnement prévoit qu’à compter du 1er juillet 2002, seuls les déchets ultimes peuvent être admis en décharge. En d’autres termes, les décharges communales sont pratiquement interdites. La sienne n’est plus que l’ombre d’elle-même, nettoyée, réorganisée, contrôlée, traitée… désormais sous-alimentée.
It is a mangled pile of sharp metal sheets, eviscerated gas cookers, peeling walls that used to be white and are now rusty, broken chunks of wood, old mattresses, pieces of plastic… Walking through it is difficult, dangerous, like through a sharp, spiky, slippery, sticky world. It is the first one he ever explored. It is his, even if he shares it with his fellow adventurers. He has seen many others since, he imagines they must all be different for those who know how to appreciate them. He always knew his was unique.
It starts at the top of the hill and runs down to the sea. The lower you get, the older and rustier the objects are. Here, the word ‘degraded’ takes on a new meaning. Thrown from the top, they slowly glide down, like a glacier, a flow of vomit, human detritus.
Apparent chaos, yet in fact pieces of a complex puzzle perfectly put together over time. The best evidence for this is that, if you try to take some easily-accessible item out, it often proves difficult. In this tangled world every finding is a prize. His first catch was an enormous horseshoe. At the bottom, everything is very rusty, inaccessible at high tide when it is entirely submerged by water. You can meet other waste-dump walkers there. Distrust and guarded distance; disquieting figures. He was fifteen when he discovered, reading “Les Météors”, that someone had written about those things he keeps inside himself, these things that others don’t want to discuss. Everyone calls it “Chicago” and when he was told, very young, that Chicago was also an American town that used to be violent, he understood it was only a nickname.
According to the Environmental Code: from July 1st 2002, only final waste is allowed to be brought here. In other terms, municipal waste-dumps are practically forbidden. His is only the shadow of its former self. Cleaned, reorganised, controlled, treated… under-fed nowadays.